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Résumé

Dans cet article, on considèrera ce que recouvre la notion d’« habitat temporaire » dans le contexte extra-ordinaire de la reconstruction post-sismique dans la ville de L’Aquila (au centre de l’Italie) et dans les villages environnants.
Dans ce contexte, la reconstruction officielle (démarrée en 2009 et toujours en cours) constitue un facteur crucial afin d’observer comment et selon quelles priorités certaines formes d’habitat ont été spatialement réorganisées pour durer dans le temps.
L’aspect politique qui concerne la formalisation et l’officialisation de « l’habitat temporaire » sera mis en avant, la performativité de ce concept ayant aussi de fortes implications économiques. De même, la responsabilité du juridique dans la mise aux normes d’un modèle d’habitat extraordinaire recevra aussi une attention particulière.
On montrera un habitat temporaire qui n’est pas forcément en relation avec les structures temporaires qui ont été quittées (casernes, écoles, hôtels, etc.) ou démontées (campements de tentes) une fois l’urgence levée, mais avec d’autres types de bâtiments (les C.A.S.E., bâtiments anti-sismiques et écocompatibles) qui ont toujours été destinés à rester. À travers l’analyse ethnographique, j’examinerai l’influence de ce nouveau modèle urbain (New-Town) sur les relations des habitants entre eux ainsi qu’avec leur environnement reconstruit.
Par le biais d’une lecture anthropologique du désastre, on voudrait proposer que, dans des contextes de crise post-sismique, le temporaire est généralement vécu comme précaire. Cependant, cette condition habituelle est possiblement surmontable grâce à l’œuvre de reconstruction quand celle-ci est menée de façon à rétablir un « environnement de confiance ». À L’Aquila, en revanche, la planification précipitée et non participative de la reconstruction de la part des autorités compétentes est à l’origine de la création de dimensions spatio-temporelles « autres » et, par conséquent, d’une précarisation de l’habitat qui risque de créer une attente prolongée parmi les habitants. Ceci est probablement nocif pour la régénération d’un tissu social cohésif.

Abstract

In this article I will examine the concept of "temporary housing" in the singular context of post-seismic reconstruction in the city of L’Aquila (Central Italy) and in the surrounding villages.
Within this context, the official reconstruction of the area (begun in 2009 and still ongoing) is a crucial factor in observing how, and according to what priorities, the layout of certain settlements has been reorganized to be long-lasting.
The political side to formalizing and institutionalizing the “temporary housing” will be highlighted, as the performance of this concept has also strong economic implications. Similarly, legal involvement in the upgrading of an extraordinary dwelling model will also receive special attention.
Once the post-seismic emergency had lessened, temporary housing was built which was not necessarily related to the temporary structures that had been left (barracks, schools, hotels, etc.) or taken down (camps of tents), but to other types of buildings (C.A.S.E. or Anti-Seismic Ecocompatible Buildings) that had always been intended to remain. Through ethnographic analysis, I will examine the influence of this new urban model (New Town) on the interpersonal relationships of inhabitants and their relationships with the rebuilt environment.
Viewing the disaster anthropologically, I would assume that in the context of post- seismic crisis the temporary is generally seen as precarious. However, this common condition could be overcome if reconstruction work is carried out with the goal of restoring an "environment of trust". In L’Aquila, however, the Authorities’ hasty and non-participatory planning of reconstruction has led to the creation of “other” space-time dimensions, consequently weakening the housing environment and risking causing extended waits among inhabitants. This is likely harmful to the regeneration of a cohesive social tissue.


Enrico Marcore

Diplômé en ethno-anthropologie de « La Sapienza » de Rome en 2005, Enrico Marcore s’intéresse depuis une dizaine d’années à l’anthropologie des désastres. Il écrit actuellement sa thèse doctorale pour l’Université d’Aberdeen tout en considérant les aspects socio-environnementaux de la reconstruction post-sismique dans la ville de L’Aquila (Italie centrale).




Références de citation

Marcore Enrico (V1: 11 janvier 2016). “Le projet C.A.S.E. L’habitat temporaire dans l’après-séisme aquilain”, in Cousin Grégoire, Loiseau Gaëlla, Viala Laurent, Crozat Dominique, Lièvre Marion (dir.), Actualité de l’Habitat Temporaire. De l’habitat rêvé à l’habitat contraint, collection « SHS », Terra HN éditions, Marseille, ISBN: 979-10-95908-00-5 (http://www.shs.terra-hn-editions.org/Collection/?Le-projet-C-A-S-E)

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Dernière mise à jour : 31 décembre 2015


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Abris temporaires

Le 6 avril 2009 à 3h32 du matin, la ville de L’Aquila fut secouée par un tremblement de terre (de 6,3 MMS sur l’échelle de Richter) qui a violemment frappé son centre historique et les villages environnants causant 309 morts, 1 600 blessés et 67 500 personnes évacuées 1. Les trois-quarts des édifices de la province de L’Aquila ont été déclarés comme étant à risque d’effondrement et ont été rendus inaccessibles par les autorités locales. Un énorme effort a été activement soutenu par le gouvernement italien qui a dû employer la Protezione Civile 2 et l’armée pour faire face à la demande d’abris.

Immédiatement après le séisme, les écoles, gymnases et casernes ont été mis à disposition, tandis que de nombreuses personnes, surtout dans les villages limitrophes, se sont auto-organisées en dormant dans des voitures ou dans des garages pendant plusieurs nuits. Pendant ce temps, la Protezione Civile, avec l’aide des chasseurs alpins, préparait des campements de tentes aux alentours du centre historique de L’Aquila dans des espaces publics : le plus souvent sur des terrains de football, des parkings, des parcs, etc. En pleine phase d’urgence post-sismique, on comptait 179 campements de tentes où étaient logés les deux tiers des évacués du séisme. Au fil des jours, d’autres victimes ont été envoyées dans des hôtels sur la côte Adriatique. En outre, une grande partie des évacués a aussi trouvé un logement de façon autonome — avec l’aide financière de l’État — majoritairement hors du département de L’Aquila.

Dans le cadre d’un désastre naturel, la phase où un certain modèle d’habitat temporaire est mis en place démarre généralement immédiatement après le désastre et se termine une fois la phase d’urgence terminée 3. Durant une première phase donc, dans des pays qui ont mis en place une sécurité sociale, le gouvernement s’engage à satisfaire les exigences basiques de la population relatives à l’alimentation, l’hygiène et l’abri selon un modèle très proche de l’aide humanitaire 4. Ces dernières années en Italie, suite à des désastres naturels, on a souvent fait appel à des structures provisoires préfabriquées, comme par exemple des containers 5, des baraques ou des chalets en bois qui ont rapidement remplacé les campements de tentes.

Ce nouveau paysage provisoire, après la première urgence (campements), a souvent fait partie de l’habitat temporaire post-sismique, en étant démonté une fois la reconstruction de maisons privées terminée.

La reconstruction officielle : le projet C.A.S.E. et les New-Towns

Contrairement à la procédure normale concernant l’utilisation d’abris temporaires après la phase d’urgence, à L’Aquila le gouvernement a décidé de bâtir directement de nouveaux quartiers de maisons permanentes. Il s’agit de bâtiments assez coûteux dont la construction prend en compte les innovations les plus récentes dans le domaine de la prévention sismique et du respect de l’environnement, deux concepts bien présents dans l’acronyme C.A.S.E. 6 (bâtiments anti-sismiques et écocompatibles).

Pour en faire une esquisse, des plateformes en béton sur lesquelles sont appuyées des colonnes oscillantes en acier garantissent la résistance sismique des édifices de deux ou trois étages. La structure et les parois de ces bâtiments sont respectivement en bois ou en acier et en plaque de plâtre. Des ascenseurs et des garages sont aussi prévus. Les appartements sont entièrement meublés, à tel point que même les ustensiles de cuisine ont été fournis.

Ces bâtiments forment de nouvelles unités territoriales appelées New-Towns : il en existe 19 éparpillées sur le territoire de la province de L’Aquila. Ici sont principalement logés les ressortissants du centre-ville (la partie la plus touchée de la ville de L’Aquila), mais aussi des villages limitrophes. Il s’agit au total de 185 édifices qui comprennent autour de 4 500 appartements, dans lesquels habitent environ 15 000 personnes. Les New-Towns sont des quartiers isolés les uns des autres et sans aucun service à proximité, tels que des commerces, des bureaux, des lieux de réunion, etc., puisqu’ils ont une fonction strictement résidentielle. La population du centre-ville de L’Aquila y a été déplacée en masse selon des critères qui n’ont pas vraiment pris en considération la proximité des habitants avec les précédents lieux de résidence, ni même les anciennes relations de voisinage.

Pour réaliser ces bâtiments, le gouvernement italien a dû prendre possession de sols non constructibles, en expropriant des zones agricoles aux alentours de la ville ou en les soustrayant au territoire du Parc National du Gran Sasso e Monti della Laga. Sur cette précondition d’accès illégal au sol — soit agricole, soit sous tutelle environnementale — qui a été rapidement mis aux normes grâce à l’urgence de la reconstruction, est né l’actuel modèle urbain de L’Aquila où le centre-ville a été étendu sur un vaste territoire 7.

Sous les éloges du gouvernement Berlusconi et, dans un premier temps, de la plupart des victimes du séisme louant la vitesse de réalisation 8 et le niveau de confort atteint, le projet C.A.S.E. a aussi favorisé la construction à court terme dans l’imaginaire médiatique du « miracle » de la reconstruction. De même, la logique gouvernementale fut de bâtir de nouveaux quartiers sans l’obligation de les enlever une fois l’urgence dépassée, contrairement à la pratique habituelle propre aux urbanisations temporaires et démontables.

Habitat hostile

Il n’est pas étonnant que les intentions de l’État par rapport au caractère permanent des NewTowns aient été déclarées dès le début. Selon le décret ministériel du 28 avril 2009 qui approuvait le projet C.A.S.E. 9, il s’agissait d’un plan urbanistique qui prévoyait la construction de bâtiments anti-sismiques, performants énergétiquement et technologiquement avancés pour une utilisation durable 10. En effet, C.A.S.E. représente un modèle de résidence projeté pour durer.

Aujourd’hui, pour qui habite les New-Towns, restent à résoudre des problèmes bien pratiques comme, entre autres, la distance jusqu’au lieu de travail, l’absence d’espaces collectifs, mais aussi l’absence de commerces et de bureaux, ce qui endommage la qualité de vie de ces nouveaux habitants 11.

À tout cela s’ajoutent les problèmes structurels des bâtiments qui ont commencé à montrer les premiers signes d’effondrement. Les ingénieurs civils ont récemment constaté que les édifices de certaines zones du projet C.A.S.E. ont une faible résistance structurelle et que cette faiblesse est due à la rapidité de la construction et aux économies faites sur les matériaux. Les occupants des habitations C.A.S.E. qui ont été touchés par ces phénomènes associent cette négligence à un manque de considération de la part des entreprises qui ont construit ces bâtiments et, surtout, des institutions qui ne les ont pas supervisées. Dans la perception locale du travail de reconstruction commence donc à apparaître l’amertume de voir le miracle des « maisons de Berlusconi » se transformer, à peine six ans après le séisme, en désastre technico-institutionnel niché au sein du désastre naturel 12. En considérant ces premiers signes de détérioration, on peut donc affirmer que, si les New-Towns ont été construites rapidement, avec un important budget et surtout avec une forte promotion médiatique, l’impact social et environnemental de ces nouvelles banlieues ne commence à faire surface que maintenant.

Comme pour renchérir le rapport conflictuel entre habitants et institutions locales, la loi interdit aux locataires, depuis la construction de leurs nouveaux habitats, de modifier leur espace résidentiel. L’appartement doit en effet être rendu à l’identique, autrement dit, tel qu’il était à la remise des clefs. En ce sens, l’aspect temporaire de la résidence dans les habitations du projet C.A.S.E. et l’interdiction de modifier l’espace privé ne permettent pas aux habitants d’entretenir leurs espaces domestiques 13. Ce fait peut donc affaiblir l’implication des nouveaux locataires dans un projet spécifique de cohésion (au plan individuel comme au plan collectif) avec le nouvel environnement construit.

La prolongation stratégique de l’urgence

À partir du mois de septembre 2009, avec la construction du projet C.A.S.E., un nouvel ordre urbanistique opposé à l’informalité des campements de tentes 14 a été mis en place. Le nouvel habitat a été réorganisé à partir d’un schéma top-down où les décisions furent prises par la Protezione Civile, présidée par Guido Bertolaso 15, sans aucune consultation des citoyens ni même des structures politiques locales. Cette attitude autoritaire (appelée « méthode Augustus 16 ») de la Protezione Civile était une conséquence plutôt logique d’une gestion militarisée de l’après-séisme à L’Aquila déjà appliquée dans les campements de tentes 17.

La Protezione Civile — qui légitime son intervention par le caractère exceptionnel des événements — devait suspendre légalement son mandat une fois l’urgence levée. Le 17 décembre 2010, le président du Conseil des Ministres de l’époque, Silvio Berlusconi, mettant en cause le caractère « singulier » des événements ayant eu lieu à L’Aquila, décidait de prolonger l’état d’urgence jusqu’en décembre 2011 18. Une modification ad hoc de la loi, obtenue directement de la main du Premier Ministre, permettait ainsi à la Protezione Civile de continuer à gérer la reconstruction de L’Aquila 19.

La suspension de l’ordre légal habituel dans le cas extraordinaire de l’après-séisme permettait donc la poursuite d’un modus operandi d’urgence alors même que le moment était venu de mettre en place une logique de planification plus soignée dans la phase de reconstruction. Le résultat fut que, pour la première fois en Italie, une nouvelle méthode de planification d’urgence s’est appropriée la planification ordinaire générant ainsi un modèle répandu d’« urbanisme d’urgence 20 ».

Aspects socio-environnementaux de l’habitat

Antonello Ciccozzi, anthropologue culturel à l’Université de L’Aquila et qui a vécu avec sa famille le tremblement de terre de 2009, déclare à propos de l’idée de temporalité dans des situations de post-désastre :

Les catastrophes naturelles font émerger un habitat de précarité existentielle qui se manifeste dans l’ordre d’une temporalité non ordinaire insérée dans la longue durée des processus de restauration 21.

On reconnaît ici le décalage temporel critique entre la longue durée du processus de reconstruction urbaine et l’envie collective d’une réponse immédiate à la crise. Bien que cette réponse doive être rapide, elle doit tout de même être insérée dans un projet de « développement durable » et non pas seulement circonstanciel, soit au niveau politique et économique, soit au niveau social et culturel. Dans les lignes suivantes, c’est ce dernier aspect qui va être particulièrement abordé.

L’anthropologue Ernesto De Martino explique que la temporalité d’un processus de récupération socioculturelle, si elle est vécue comme l’attente de quelque chose de meilleur, n’est pas en soi dangereuse et que la crise, qu’elle soit individuelle ou collective, peut se résoudre comme un moment constructif, où une réaction se produit à travers un projet communautaire 22. Ce qui est par contre dangereux, ce sont l’inaction et l’isolement, conséquences de la chronicisation de cette précarité — bien exprimée par le concept du « temporaire qui devient définitif » —, qui causent la sensation d’habiter dans l’attente éternelle de quelque chose qui ne pourrait jamais arriver. Le manque d’un modèle d’avenir possible et opérationnel à partir du moment présent peut ainsi générer le risque socioculturel et psychologique de perdre la présence historique. De Martino explique aussi que pour se réapproprier sa propre historicité, relative au fait de se sentir « en rythme avec son temps » il est important, après une crise collective, de reconstruire les coordonnées spatiales et temporelles bouleversées par le désastre afin de « remettre le monde debout 23 ».

Selon notre lecture de la reconstruction de L’Aquila, si l’effort de donner un logement est prioritaire et nécessaire, il ne l’est pas suffisamment si l’on considère l’habitat physique de C.A.S.E. comme le « container » où la vie sociale doit nécessairement se produire. La critique anthropologique d’une approche d’ingénierie qui concerne la reconstruction des New-Towns, et que l’anthropologue Tim Ingold appelle la « perspective du bâtir 24 », s’appuie sur la constatation que « remettre le monde debout » ne revient pas seulement à construire des nouveaux bâtiments — comme la reconstruction « archi-technique » de L’Aquila a voulu le proposer jusqu’à présent —mais aussi à reconstruire l’habiter : autrement dit, à renouer un réseau plus profond de relations avec le voisinage et l’environnement 25.

À partir de cette perspective de l’habiter plutôt que du bâtir, comment la reconstruction physique de l’habitat périurbain, de la façon dont elle a été menée jusqu’à présent, peut-elle permettre la récupération d’une dimension habituelle du vécu ? Autrement dit, comment peut-elle rendre possible la remise en marche d’une temporalité et d’une spatialité connues et non pas « autres » ?

Bouleversement de l’espace et du temps

Si l’habitat post-sismique est donc fait de relations — avec les gens et les lieux à travers la récupération de pratiques familières —, dans les quartiers C.A.S.E. la précarité existentielle 26 est le symptôme le plus manifeste d’une reconstruction qui, au-delà de l’abri et des commodités accessoires de la vie privée, est encore loin de satisfaire les nécessités relationnelles des habitants. Le problème aujourd’hui réside probablement dans le court-circuit des relations socio-environnementales habituelles et dans l’impossibilité de les retrouver ni même d’en construire de nouvelles, à cause de l’incertitude vis-à-vis du lieu de résidence dans les nouveaux quartiers.

De fait, l’espace a perdu les anciennes dimensions qui le rendaient reconnaissable : la ville et les villages, avec leurs centres historiques, ont laissé place à un modèle de style « périphérie urbaine 27 » où existent d’autres manières de vivre son lieu de résidence. Les New-Towns n’ont pas de lien entre elles, de même que les relations entre voisins sont pratiquement inexistantes, alors même que ces nouvelles urbanisations sont avant tout habitées par des gens qui constituaient la population d’un centre historique précédemment relié et facilement accessible 28. En à peine six ans, le modèle pré-sismique d’habiter — où les relations dans les espaces publics représentaient la sociabilité traditionnelle — a cédé sa place à un modèle post-sismique où la maison et son intimité donnent l’impression de se protéger du monde extérieur 29.

Le temps aussi s’écoule sans suivre le rythme quotidien 30 typique d’une ville de montagne de la région des Abruzzes, mais plutôt un rythme très proche des contextes urbains. La recherche de Calandra 31 montre comment les tâches quotidiennes — telles que se rendre au travail, amener les enfants à l’école, aller faire les courses, rendre visite à quelqu’un, etc. — sont aujourd’hui plus difficilement réalisables 32.

Conclusion

En utilisant la délocalisation forcée et en appliquant un mécanisme de gestion du territoire selon le modèle divide et impera (diviser pour régner), l’État a assuré l’ordre social à travers le contrôle de l’espace 33.

Dans ce contexte, la politique gouvernementale a eu une forte tendance développementaliste, en permettant l’application d’un plan (le projet C.A.S.E.) préconçu pour n’importe quel désastre et non pas forcément adapté — même s’il en émane — aux nécessités locales. Comme les études concernant l’application de projets de développement l’ont démontré, ces logiques externes de planification urbaine apportent une innovation excessive pour les capacités d’absorption du système socio-environnemental local 34.

À ce jour, dans la province de L’Aquila, on observe que la précarité de l’habitat est une donnée qui dénote une temporalité encore indéterminée, à cause aussi de l’application hâtive d’un plan de reconstruction d’urgence. Cette temporalité dépasse l’ordre physique de l’espace, en s’étant détachée de la relation directe avec les structures dites temporaires, mises en place à l’époque de l’urgence. En effet, si les campements de tentes ont été complètement démontés, la perception de précarité existentielle dans un habitat reçu et vécu comme « de passage » reste encore puissante.

À l’issue de ces réflexions, on peut affirmer que les habitats temporaires dans la phase de post-désastre au sein de la ville de L’Aquila ne peuvent pas simplement être associés aux campements (ou à des containers éventuels), car de nouvelles structures temporaires (C.A.S.E.) — avec une temporalité paradoxalement bien planifiée pour durer — sont intervenues, en marquant le nouveau plan urbanistique de la ville et donc également sa tendance de développement futur. Six ans après le tremblement de terre, la plupart des habitants de C.A.S.E. ne savent toujours pas combien durera leur résidence dans les New-Towns et ce constat laisse des traces évidentes sur le niveau d’engagement possible que l’habitant a eu et aura avec ses nouveaux voisins et avec l’environnement construit.

On remarque que dans les nouveaux quartiers C.A.S.E. cet engagement est quasiment absent et que l’isolement est une conséquence palpable de cette situation. De plus, les interdictions institutionnelles intimant de ne pas retoucher les lieux de la vie quotidienne et, de façon plus générale, de ne pas interférer avec un nouveau contexte résidentiel n’aident pas à se l’approprier.

Cette inaction forcée pourrait rendre permanente une situation provisoire de perte des liaisons socio-environnementales habituelles tout comme le nouveau modèle d’habitat temporaire, introduit par le projet C.A.S.E., pourrait ne pas rester circonscrit à celui-ci. Par conséquent, le risque actuel pour l’urbanité historique de la ville de L’Aquila et pour les victimes du tremblement de terre de 2009 est que le-dit modèle, confortable dans la sphère privée mais fractionnaire sous l’aspect collectif et suspendu dans l’ordre spatio-temporel, devienne un idéal d’habitat futur.