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Stany Cambot p/o Échelle Inconnue

Architecte, auteur et réalisateur, Stany Cambot est également l’un des fondateurs du groupe Échelle Inconnue créé à Rouen en 1998.




Références de citation

Cambot Stany (V1: 11 janvier 2016). “Saper le ré-orientalisme et libérer le futur. Une écriture des histoires clandestines de la mobilité”, in Cousin Grégoire, Loiseau Gaëlla, Viala Laurent, Crozat Dominique, Lièvre Marion (dir.), Actualité de l’Habitat Temporaire. De l’habitat rêvé à l’habitat contraint, collection « SHS », Terra HN éditions, Marseille, ISBN: 979-10-95908-00-5 (http://www.shs.terra-hn-editions.org/Collection/?Saper-le-re-orientalisme-et (...))

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Dernière mise à jour : 31 décembre 2015


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Des imaginaires sont à l’œuvre qui constituent ce que l’on pourrait nommer une « culture dominante ». Une série de représentations, si ce n’est inconscientes du moins impensées, structurent le rapport social comme politique aux formes « autres » de la ville et notoirement les formes mobiles, nomades et foraines. Structuration, impensé, autant dire avec Barthes idéologie, forme synthétique ou ritournelle attendant son devenir mythe qui veut résumer la complexité d’un monde et le façonner à son image. Mais bien qu’impensées, ces représentations n’en sont pas moins construites et se recomposent à l’envie pour ceindre et justifier incohérences ou mouvements économiques, policiers, juridiques ou sociaux. Pas plus assujetties à ces mouvements qu’elles ne les asservissent, elles publicisent, dialoguent et participent de la chose politique et urbaine.

Ainsi, la nouvelle campagne de communication du groupe Accor pour ses hôtels Pullman intitulée « Les nouveaux nomades » pourrait résumer la double injonction faite aujourd’hui aux villes et aux individus : les premières doivent devenir métropoles et les seconds mobiles 1. Pour Pullman, le nouveau nomade, est la nouvelle génération de voyageurs et d’entrepreneurs. Des explorateurs hyper connectés et sophistiqués, qui inventent tous les jours de nouvelles façons de faire des affaires dans le monde entier. Le monde est leur terrain de jeux... Ainsi, au programme de métropolisation du monde, répond une mobilité par lui souhaitée. Une mobilité de cadres métropolitains avec ses oripeaux (téléphones, ordinateurs, etc.) se déplaçant de « cité-État » en « cité-État » en avion ou train à grande vitesse. Pullman met à leur service plus de 80 hôtels idéalement situés à proximité de destinations touristiques et de quartiers d’affaires de premier plan. Des hôtels installés dans plusieurs des villes les plus palpitantes du monde. Les agents de la fabrique de la ville raccrochent alors le train, architectes en tête, de peur de rater ce tournant comme ils ratèrent celui du développement pavillonnaire. On se pique désormais de mobile, de léger, de « logement une personne » ou de design de cabane dans l’espoir qu’un marché émerge. Rien de subversif ici mais l’aboutissement d’un programme économique et urbain qui se dessine dès le milieu du XIXe siècle dont la métropole n’est que le nouveau masque.

Cependant et sans eux, depuis le nouveau millénaire, des tentes partout : des rassemblements militants ayant quitté la rue pour porter le coup là où, désormais, le pouvoir a lieu, aux tristes révolutions oranges 2, en passant par les tentes contestataires ou nécessaires des sans-abris 3. Des camions, des caravanes, des containers aussi, abris ou logements de la renaissance d’un prolétariat nomade disparu dans les années 1920. Des cabanes reconstituant, aux abords des métropoles rêvées, les bidonvilles que l’on croyait disparus. La fabrique même de la métropole génère ainsi une toute autre mobilité. On le voit ici comme à Moscou avec ces brigades d’ouvriers (pour utiliser la dénomination russe) venant de l’autre bout du pays ou du continent que l’on trouve en hôtel low cost, en camping, en caravane ou camion au pied du chantier, en lisière de métropole, au bord de la tache verte de la carte 4. C’est là que ces mobilités de constructeurs du projet métropolitain croisent les espaces d’une autre mobilité, celle de la fuite. Celle de ceux que le programme urbain expulse, que l’on retrouve en camping, camion, campement, container, ou celle de ceux qui fuient la métropole l’entendant comme la construction d’un espace de contrôle (travellers, certains voyageurs, habitants de yourtes ou de cabanes). Un peuple sur roues qui vient grossir les rangs de ceux des tsiganes, forains et autres roulottiers.

Un autre peuple ? Peut-il seulement se considérer comme tel ? Tant la loi et l’État le condamnent à la clandestinité. Tant la culture, l’architecture et l’urbanisme le considèrent comme marginal, anormal mais surtout insoluble dans une Histoire dont elles tentent de précipiter la fin. Pour maintenir cette ville à distance, on en appelle aux essentialismes millénaristes divisant commodément le monde entre Abel et Caïn, nomades et sédentaires et par là même le rejetant dans un éternel biblique inaccessible. Pour valider son caractère étranger, on en appelle à un orientalisme qui façonne tant l’inconscient collectif que celui qui s’assoit sous les ors des cabinets ministériels. Orientalisme ? Ré-orientalisme plutôt qui délaisse aujourd’hui la représentation méditerranéenne jusqu’alors dominante de la Gitane — Carmen 5 ou Esméralda 6 — synthèses des pulsions contradictoires de rejet et de désir, pour réorienter, au gré des évolutions de la géopolitique internationale, ces représentations vers un Est-européen tout aussi fantasmé, y assemblant confusément Roms, Balkans, Roumains jusqu’aux yourtes d’Asie centrale. Ainsi, depuis la perte de la guerre froide par le bloc de l’Est, les premiers conflits dans les Balkans, l’arrivée des premiers migrants Tsiganes ou non en Italie mais aussi en France, le « reclassement » des cadres politiques Sinti est-allemand sur la scène européenne, notre espace devient perméable à de nouvelles représentations, issues de la zone culturelle post-soviétique. Ces représentations viennent alors se créoliser et articuler une nouvelle fois la relation du couple rejet/désir tel qu’incarné dans les œuvres de Kusturica ou dans les tsiganeries d’un Gorki ou d’un Pouchkine renvoyant aux images d’un peuple nomade éternel à la fois chanteur, voleur et dramatique. Autant de manières, par la culture et la représentation, d’affirmer le caractère exogène de la ville foraine et de ses acteurs et de les dissocier définitivement de l’histoire de la modernité.

Pourtant, des tentes déjà, au milieu du XIXe siècle, sont transportées par les cuirassés américains, des manufactures du Caire aux côtes algériennes, afin de constituer la capitale mobile de l’État résistant et réinventé par Abd el-Kader : la Smala 7. Des cabanes, des grottes et des roulottes aux lisières des villes déjà, dans cet éternel présent qu’est le XIXe siècle, abritent le peuple chassé de leurs cœurs par les grands travaux urbains et d’infrastructures. Des charrettes aussi, à la fois roulottes et tanks paysans dans l’Ukraine insurgée des années 1920 tentent par leur traversée de construire l’alternative politique entre armée rouge et armées blanches : la Makhnovtchina 8, « royaume sur roues ».

C’est dans ces histoires orphelines et clandestines de la modernité, celles de la ville des classes dangereuses, que nous tentons de réécrire avec ce peuple-même, à côté de celle des salauds, que, peut-être, pouvons-nous dire NOUS.

Voilà à quoi nous attacher. Non pas une étude, tant les approches réputées scientifiques ont fait la preuve de leur incapacité à générer la ville de Tous ainsi qu’à casser les logiques de séparation, discrimination, contrôle et guerre, consubstantielles à la pensée de l’espace occidental post-démocratique. Pensée en équilibre sur les béquilles de la discrimination sociologique capable au mieux d’élaborer l’espace d’un Tous partiel dans l’attente que s’y intègrent ses propres marges.

Non, aucun de ces docteurs ne saura curer le mal de cette ville-là.

Pour approcher cette ville mobile ou foraine, il convient d’oublier les divisions commodes entre terrain et analyse, réinventer les représentations afin de construire une co-naissance de ces espaces des vaincus de l’histoire urbaine, des tus et non représentés. Un cheminement donc, avec eux, au travers du champ de bataille de cette guerre silencieuse qu’est l’urbanisme. Un cheminement pour tisser une histoire nôtre, dans la toile de la modernité, et entendre en quoi ces modes d’organisation spatiale, insolubles dans le logiciel étatique, portent depuis les germes d’une autre ville, tierce. Peut-être celle que l’on voudrait et qui ne figure pas au cadastre avec laquelle il nous faut combattre celle qui y figure.

Ainsi le rôle d’un art culturel (en opposition à ce qu’est un art du marché) demeure prédominant dans ce champ de manœuvre de la représentation et peut, outre dire la guerre silencieuse qui pourtant a lieu entre la ville planifiée et la ville foraine, travailler à l’élaboration de nouvelles images, histoires ou récites de cette dernière.

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