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SECTEUR COURANT DU MANUEL > TEDI - Transformations des États démocratiques industrialisés > Jérôme VALLUY    

  • Partie - Expansion des objectifs et moyens de l’État
  • Chapitre - Politiques économiques et sociales - EDC n°2

    L’ambition de ce chapitre n’est pas de se substituer à un cours d’économie politique qui présenterait d’abord les concepts et les mécanismes économiques fondamentaux (agents et opérations économiques, comportements économiques, fonction des marchés, problèmes de l’économie nationale, etc.) pour analyser ensuite les mécanismes et les raisonnements qui fondent les politiques macro-économiques, c’est-à-dire les interventions de l’État destinées à corriger les déséquilibres susceptibles d’affecter l’économie nationale. On peut aborder l’économie politique dans une perspective à la fois plus restreinte et néanmoins intéressante d’un autre point de vue : il s’agira essentiellement de répondre à la question « Pourquoi l’État intervient-t-il ? ». On prolongera ainsi les interrogations ouvertes dans les chapitres précédents sur la genèse de l’État-providence mais en adoptant d’autres démarches de réflexion pour répondre à cette question : l’étude des idées d’économie politique (libéralisme, keynésianisme, école de la régulation...) et l’analyse sociologique des conditions de fixation des objectifs de politique économique.

  • Section - Les politiques sociales contre les objectifs économiques ?
  • Sous-section - Les finalités des politiques sociales face à l’économie

    L’étude historique de la genèse des politiques sociales (Cf. Section - Progression des doctrines interventionnistes) vous a montré que les objectifs des politiques sociales ne sont pas moins ambiguës que ceux des politiques économiques. Les choses paraissent claires avec le fameux texte que Beveridge publie en 1942 1, mais il y un écart considérable entre ce texte et la réalité concrète des politiques sociales britanniques qui dépendent, même après 1945, d’une histoire très antérieure à Beveridge et d’un jeu politique qui échappe évidemment à ce dernier. D’autre part, on a vu que les politiques sociales de Napoléon III ou de Bismarck répondaient autant (sinon plus) à des considérations de tactique politique et de maintien de l’ordre qu’à des visées philanthropiques (insérer lien interne).

    Il convient d’ajouter qu’il n’y a pas, en matière sociale, de correspondance aussi directe qu’en matière économique entre les paradigmes scientifiques et les politiques publiques (libéralisme -> politique libérale, keynésianisme -> politique keynésienne). La sociologie a certes fortement contribué au tournant des XIXe et XXe siècle à faire prendre conscience de l’interdépendance des acteurs sociaux et par suite des enjeux de la solidarité sociale ; ce que montre par exemple Jacques Donzelot 2. Mais il n’existe pas de correspondance directe entre une sociologie durkheimienne ou weberienne et des politiques sociales déterminées.

    Les finalités générales des politiques sociales et leurs modalités d’institutionnalisation vous sont connues, je n’y reviens pas (Cf. Première partie). L’objet de cette section est de voir à travers notre histoire quelles relations il existe entre les logiques d’intervention sociale et celle de régulation économique.

Segment - Bien-être économique et bien-être social

A. En cours de rédaction
II. En cours d’éditorialisation


SOMMAIRE

Pendant une longue période, après la Seconde Guerre mondiale, des liens forts se sont tissés entre croissance économique et progrès social. Pendant cette période une représentation spécifique du rôle de l’État dans la société s’est imposée : l’État est perçu comme un acteur à part entière du processus de progrès économique et social.

1- Une période longue et exceptionnelle de convergence

Robert Castel 1 observe que la « société salariale » — société actuelle où plus de 80 % de la population dispose d’un statut de salarié — se met en place durant la période des « Trente glorieuses » (1945-1974 2. Elle se distingue des sociétés précédentes par la surabondance de biens de consommation et la forte cohésion sociale. Si la consommation est le résultat direct de la croissance économique, la cohésion sociale est liée au développement d’un mode de gestion publique qui associe deux éléments : la croissance économique et l’acquisition des droits sociaux.

1.1- La croissance économique

Si l’on adopte une vision historique de longue période on se rend compte que les « Trente glorieuses » constituent une période exceptionnelle dans l’histoire des sociétés industrielles. En France, par exemple, le taux de croissance annuel monte jusqu’à 5 ou 6 %. La productivité, la consommation et les revenus sont multipliés par trois en volume (Francs constants), ce qui est énorme !

Cette tendance a eu des conséquences non seulement économiques mais aussi psychologiques et sociales : confiants dans l’avenir, les citoyens anticipaient une amélioration continue de leurs conditions de vie, ce qui apaisait la concurrence entre les groupes sociaux et donnait aux inégalités un aspect provisoire et réversible. Le paradigme interventionniste et l’idéal social-démocrate trouvaient ainsi une conjoncture favorable pour affirmer leurs finalités redistributives et universalistes.

Autre effet de la croissance : la confiance en l’État se renforce. L’État est notamment en mesure de diversifier ses offres de service. Les besoins fondamentaux des citoyens étant satisfaits, d’autres besoins apparaissent, notamment en matières éducative ou culturelle. Robert Castel observe que le développement économique entraîne et intègre la question du progrès social qui apparaît comme une finalité commune aux différents groupes sociaux. Les résistances aux progrès et innovations sociales s’affaiblissent et l’idéal social-démocrate devient plus légitime.

1.2- La croissance de l’État social

L’interprétation défendue par Robert Castel consiste à considérer le développement de l’État social comme la forme institutionnalisée d’un compromis réussi entre la dynamique du profit capitaliste et la nécessité de la solidarité. À partir du milieu du XIXe siècle, au cœur de la société libérale industrielle, les politiques sociales sont une réponse à la montée en puissance des « classes dangereuses ». Après la Seconde Guerre mondiale, elles reposent sur un nouveau compromis qui fait de l’État l’une instance centrale de régulation assurant le partage des fruits de la croissance. L’État devient alors légitime dans un rôle de médiateur arbitrant les divergences d’intérêt des multiples catégories de salariés.

Ce nouveau rôle de l’État s’exprime dans les diverses refondations d’après-guerre des systèmes de protection sociale. Il apparaît aussi dans la conversion des élites dirigeantes — y compris de droite ! — au paradigme keynésien favorable à l’interventionnisme. Cette conversion et le contexte de la reconstruction légitime le rôle de l’État comme leader de l’activité économique tant par son activité de producteur (nationalisations, investissements publics > investissements privés), ses intervention en faveur de la « modernisation » (ex. : agriculture) ou celles fixant les règles du jeu économique (ex. : fixation des prix et des salaires).

Apparaît ainsi une sorte de socialisation des conditions de production permettant à l’État de mettre en relation les objectifs économiques, sociaux et politiques. Cela crée, dit Robert Castel, une sorte de régulation circulaire qui pèse sur l’économique pour promouvoir le social et, réciproquement, qui fait du social le moyen de secouer l’économique lorsque ce dernier traverse une crise : l’économie garantit la suffisance des recettes publiques ce qui permet la production de biens-collectifs, et l’encadrement social assuré par l’État offre un contexte d’épanouissement de la société qui facilite la reprise des initiatives privées. Dans ce contexte de croissance, les objectifs sociaux et économiques sont complémentaires.

C’est durant cette période que l’État en vient aussi à assumer un autre rôle de régulateur : celui de régulateur des rapports sociaux (patrons / salariés). L’idée de ce rôle n’est pas nouvelle : déjà en 1900 Alexandre Millerand (futur président) exprimait le besoin d’instituer des structures de concertation entre partons et ouvriers car de cette façon le gouvernement peut rester fidèle à son rôle de pacificateur et d’arbitre. Mais c’est dans les années 1950-1970 que l’État s’imposera dans ce rôle à la fois contre les patrons qui craignaient l’établissement de règles protectrices lourdes financièrement et contre les ouvriers qui craignaient une coalition entre pouvoir politique et entrepreneurs.

Deux exemples illustre ce rôle d’intermédiaire joué par l’État :

  • La transformation du salaire minimum interprofessionnel garanti (SMIG) en SMIC (salaire minimum interprofessionnel de croissance) en 1970 reflète un changement de logique politique. Indexé à la fois sur l’augmentation des prix et sur la croissance, le SMIC sert non plus seulement à garantir un minimum vital mais aussi à mettre en œuvre un partage des fruits de la croissance plus favorable aux bas revenus.
  • La mensualisation de tous les salaires (1970). Jusqu’à cette époque les ouvriers étaient le plus souvent payés à l’heure ce qui renforçait l’instabilité de l’emploi et l’insécurité du travailleur qui pouvait se trouver réellement sans travail d’un instant à l’autre. La mensualisation s’est accompagné d’ailleurs du développement du CDI qui signifiait une quasi-garantie de sécurité de l’emploi.

2- La fracture entre l’économie et le social

Le ralentissement de la croissance constitue une des raisons principales de la fracture qui s’établit entre les objectifs économiques et sociaux à partir des années 1970. Mais ce n’est pas la seule. On peut ajouter à cela les effets de la mondialisation, l’apparition de nouvelles technologies et la modification de l’organisation du travail ainsi que la montée en puissance des idées néo-libérales durant les années 1980. Nous analyserons ces facteurs plus en détail dans la troisième partie du cours.

Tous les pays européens sont entrés depuis 1974 dans une phase de ralentissement économique. L’année 1987 fait naître quelques espoirs du fait d’une tendance à la reprise mais de courte durée : à partir du début des années 1990, et surtout depuis 1993, la France connaît sa plus forte récession depuis l’après guerre.

Cette période de ralentissement, relativement longue (environ 30 ans), constitue-t-elle une crise, constitue-t-elle une exception dans notre histoire économique ? Il n’en est rien si l’on se réfère à l’histoire économique de longue période (séculaire) pour laquelle le taux de croissance moyen est de l’ordre de 2 %. Or entre 1974 et 2001, les taux de croissance ont toujours été positifs (à la seule exception de 1993) et le taux de croissance moyen est de 2,2 %. Dès lors la « crise » est relative (au sens propre), c’est-à-dire— d’un point de vue historique — dépendante de la période antérieure (« Trente glorieuses ») qui elle fut exceptionnelle. Dépendante en ce qui concerne la consommation (les habitudes acquises de consommation sont bouleversées), la production (l’appareil de production « grossi » n’écoule plus les marchandises menant au chômage) et les prestations publiques (la régression des cotisations sociales et des entrées fiscales entraînent une baisse des prestations).

En même temps, la forte croissance, comme on le disait plus tôt, produit aussi une diversification de la demande en services sociaux. La croissance de la production, la croissance de la consommation et la croissance de l’État social vont de pair. L’État, dans les conditions des Trente glorieuses, n’a aucun mal à jouer le rôle du régulateur puisqu’il dispose d’un budget suffisant pour satisfaire la demande sociale et, simultanément, renforcer sa légitimité. Mais une fois que la croissance est freinée, ses recettes diminuent alors que la demande en services sociaux devient plus pressante. La limitation des prestations accordées antérieurement aux citoyens n’apparaît pas possible et cela pour différentes raisons : d’abord politiquement, il est difficile de réduire les acquis sociaux créés sur la base de prestations et de services sans risquer d’être gravement sanctionné par l’électorat (ne pas indemniser le chômage, ne pas rembourser une hospitalisation...) ; ensuite socialement, agir et subvenir aux besoins sociaux dans une période de crise devient une nécessité, alors que pendant la période de forte croissance les prestations sociales apparaissent souvent comme un surplus. Les gens sans emploi, les malades sans ressources et des catégories entières de la population qui vivent dans l’exclusion n’ont qu’un seul appui, l’aide publique.

Jérôme VALLUY‚ « Segment - Bien-être économique et bien-être social  »‚ in Transformations des États démocratiques industrialisés - TEDI  - Version au 3 mai 2023‚  identifiant de la publication au format Web : 134