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SECTEUR COURANT DU MANUEL > TEDI - Transformations des États démocratiques industrialisés > Jérôme VALLUY    

  • Partie - Expansion des objectifs et moyens de l’État
  • Chapitre - Politiques économiques et sociales - EDC n°2

    L’ambition de ce chapitre n’est pas de se substituer à un cours d’économie politique qui présenterait d’abord les concepts et les mécanismes économiques fondamentaux (agents et opérations économiques, comportements économiques, fonction des marchés, problèmes de l’économie nationale, etc.) pour analyser ensuite les mécanismes et les raisonnements qui fondent les politiques macro-économiques, c’est-à-dire les interventions de l’État destinées à corriger les déséquilibres susceptibles d’affecter l’économie nationale. On peut aborder l’économie politique dans une perspective à la fois plus restreinte et néanmoins intéressante d’un autre point de vue : il s’agira essentiellement de répondre à la question « Pourquoi l’État intervient-t-il ? ». On prolongera ainsi les interrogations ouvertes dans les chapitres précédents sur la genèse de l’État-providence mais en adoptant d’autres démarches de réflexion pour répondre à cette question : l’étude des idées d’économie politique (libéralisme, keynésianisme, école de la régulation...) et l’analyse sociologique des conditions de fixation des objectifs de politique économique.

  • Section - Les politiques sociales contre les objectifs économiques ?
  • Sous-section - Les acteurs des politiques sociales (ou de la protection sociale  (...)
    • Acteurs / politiques économiques et politiques sociales (Cf. politique de lutte contre le chômage).
    • Acteurs variables selon les secteurs de politiques sociales au sens large (politiques de protection sociale, politiques de la consommation, politiques de l’environnement, politiques de l’éducation, politiques de la culture, etc.).
    • Les intentions affichées en 1945 et les réalités.

Segment - « Démocratie sociale » ou « technocratie syndicale » ?

I. À éditorialiser
A. En cours de rédaction


SOMMAIRE

En matière d’organisation de la Sécurité sociale, la refondation de 1945 s’inscrivait officiellement dans un projet d’instauration d’une démocratie économique et sociale. Le principe d’une gestion des institutions de Sécurité sociale par les intéressés était posé dans l’exposé des motifs de l’ordonnance de 1945 et ce même texte affichait la volonté d’éviter le risque d’étatisme bureaucratique. Cette double annonce — démocratie sociale et refus de la bureaucratie étatique — concordait opportunément avec la tradition des courants de pensée mutualistes. Mais là encore, un écart considérable sépare les idées affichées et les dispositifs concrètement mis en place qui conduisirent à confier la gestion du plus gros budget public à des administrateurs sans responsabilité devant l’électorat que ce soit celui des citoyens ou même celui des assurés sociaux.

1- Le mode de désignation des administrateurs de la Sécurité sociale

1945. Les principes initiaux étaient interprétés sur un mode peu démocratique puisqu’il fut décidé en 1945 que les caisses de Sécurité sociale seraient administrés par un conseil composé de représentants désignés par les centrales syndicales des salariés et des patrons. En ne soumettant pas la désignation de ces gestionnaires du plus gros budget public à un processus électoral, les gouvernants de l’époque et les syndicats alors influents substituaient l’influence des apparatchiks syndicaux à celle des bureaucrates étatiques. Hormis la CFTC et la toute nouvelle CGC, la CGT réunifiée (différente de la CGT des dernières décennies, recrutement plus large) constituait la principale centrale et regroupait l’essentiel des forces syndicales.

1946. Dès l’année suivante, ce dispositif fut néanmoins contestée à l’Assemblée Nationale en raison de la faible représentativité des syndicats et la loi du 30 août 1946 fut votée prévoyant l’élection des Conseils d’administration avec des candidatures libres. Néanmoins par un système de suffrage très indirect, cela ne réduit que partiellement l’emprise des syndicats sur le système : les administrateurs des caisses locales sont élus « par les intéressés » deux collèges d’électeurs (assurés, employeurs) -> deux catégories de représentants qui élisent les administrateurs des caisses régionales qui élisent les représentants des caisses nationales. Dès le deuxième niveau (régional), on peut considérer que ce sont les apparatchiks syndicaux qui, de fait, désignent les administrateurs. Les premières élections donnent 60 % de voix à la CGT. Cette prépondérance se confirme durant les deux décennies suivantes.

1967. Ce mode de désignation démocratique fonctionna pendant 20 ans jusqu’aux ordonnances de 1967 qui supprimèrent l’élection au profit d’une désignation directe des administrateurs par les syndicats dits « représentatifs » ainsi bénéficiaires d’une rente de situation sur le marché syndical (barrage à d’éventuels petits syndicats challengers). L’ordonnance organise des quotas répartissant les sièges entre ces syndicats (CGT, CFDT, FO, CFTC, CGC — CNPF).

1982. Le gouvernement socialiste fraîchement élu réforma l’ordonnance de 1967 mais ne le fit que très partiellement puisque la loi du 17 décembre 1982 ne rétablit l’élection des administrateurs que pour les caisses de base (locales) laissant aux appareils syndicaux nationaux le pouvoir de désigner les plus importants : les administrateurs nationaux et régionaux. Dans ces conditions, il n’est guère étonnant que les premières élections organisées furent caractérisées par un taux d’abstention de 50 % qui servira complaisamment ensuite — notamment aux apparatchiks syndicaux — de justification pour remettre en cause le principe même de l’élection. Les élections suivantes qui devaient se tenir en 1989 furent ainsi repoussées à plusieurs reprises puis remplacées par une désignation ad hoc des représentants sur la base des résultats de 1983. Enfin, l’ordonnance de 1996 revint aux modalités définies en 1967.

Première conclusion : Depuis 1945, les élites dirigeantes du pays (syndicale / patronale, gauche / droite) se sont accordées sur l’instauration d’un gouvernement technocratique du plus gros budget public. Ce gouvernement n’est représentatif ni des assurés, puisqu’il n’y a pas d’élection sur cette base, ni même des salariés ou des employeurs si l’on se souvient que les syndicats ne représentent qu’environ 10 % de la base au nom de laquelle ils parlent, ni des citoyens (la modification constitutionnelle introduisant le vote du budget de la Sécurité sociale par le Parlement introduit certes un changement mais qui reste pour le moment très formel).

2- La répartition des sièges entre syndicats de salariés et d’employeurs

1945. La répartition des sièges entre salariés et patrons fut d’abord favorable aux premiers : environ 2/3 pour les salariés, 1/3 pour les employeurs dans les caisses de base puis élection en pyramide -> caisses nationales + représentants de l’État. Ce rapport de force s’explique par le discrédit dont était frappés les milieux patronaux en raison de leurs comportement sous l’occupation et sous Vichy et la position dominante de la CGT qui regroupait la plupart des forces syndicales dont certaines actives dans la résistance et qui avaient en outre pu participer directement à l’élaboration du programme économique et social du CNR (Conseil National de la Résistance). Bien qu’ayant perdu sur le mode de désignation, la CGT confirme sa prépondérance lors des premières élections (60 % en 1947) puis durant les deux décennies suivantes : 1962, la CGT est autour de 45 % avec, à côté, la CFTC (pas encore scindée / CFDT) à environ 20 % et FO à environ 15 %.

1967. L’ordonnance marque un retournement (éminemment politique) puisqu’elle abolit la prédominance des salariés au bénéfice du patronat. Au nom du « paritarisme » est proclamée l’égalité formelle des deux catégories de syndicats : 9 sièges aux syndicats de salariés, 9 sièges au syndicat patronal. En outre, l’ordonnance détermine le niveau de représentation de chaque syndicat : 3 pour la CGT, 2 pour la CFDT, 2 pour FO, 1 pour la CFTC, 1 pour la CGC. La CGT et la CFDT (contrairement aux autres qui tirent les marrons du feu) qualifièrent ces ordonnances de « lois scélérates » et refusèrent de cogérer la Sécurité sociale considérée comme ainsi donnée au patronat (9 sièges sur 18 au CNPF + alliances possibles avec des syndicats minoritaires) -> refus des présidence de caisses, refus de vote des budgets.

1982. Le gouvernement socialiste opère un retournement nettement plus substantiel en ce domaine que sur le mode de désignation : la loi du 17 décembre 1982 rétablit la représentation majoritaire des salariés en leur accordant 15 salariés et 6 aux employeurs. Les élections de base de 1983 donnent les résultats suivants en % : CGT - 28,17 ; FO - 25,56 ; CFDT - 18,38 ; CGC - 15,9 ; CFTC - 12,29.

1996. L’ordonnance du 24 avril rétablit le « paritarisme » de 1967 en le tempérant légèrement par la présence d’autres types de membres au sein des CA nationaux : 13 salariés (3 CGT, 3 FO, 3 CFDT, 2 CFTC, 2 CGC), 13 employeurs, 3 mutualités, 4 « personnalités qualifiées » (État).

Deuxième conclusion : Le gouvernement technocratique de la Sécurité sociale, instauré par le mode de désignation non électif des administrateurs de caisse, n’est pas indépendant du jeu politico-électoral. Un an avant « mai 68 » (!), un gouvernement de droite change le rapport de force au profit du patronat. Le premier gouvernement de gauche de la Ve République modifie le rapport de force au profit du salariat. En 1996, un gouvernement de droite renverse la vapeur en profitant d’un retournement d’alliance (alliance FO-CNPF -> CFDT-CNPF pour la présidence des caisses nationales).

Jérôme VALLUY‚ « Segment - « Démocratie sociale » ou « technocratie syndicale » ?  »‚ in Transformations des États démocratiques industrialisés - TEDI  - Version au 17 mars 2023‚  identifiant de la publication au format Web : 136