Comme l’observe François-Xavier Merrien 1, c’est dans ce contexte de crise économique et de crise objective des régulations keynésiennes (notamment face au phénomène de stagflation), qu’apparaît dans les laboratoires d’idées (think-tank) néolibéraux des années 1970 l’idée de « crise » de l’État-providence. Elle est ainsi étroitement liée à la critique économique néolibérale des politiques économiques d’inspiration keynésienne et plus largement des effets pervers qu’induiraient les interventions généralisées de l’État dans la sphère économique et sociale.
L’intervention de l’État dans le circuit économique fait l’objet de critiques de plus en plus nombreuses. Ces remises en cause ébranlent la légitimité des politiques d’inspiration keynésienne. De nouveaux modèles économiques tendent aussi bien à mettre en évidence l’inefficacité des politiques budgétaires (Milton Friedman) que les effets négatifs en termes d’inflation de déséquilibre de la balance des paiements. Cette crise du paradigme keynésien remet à l’honneur la théorie classique-libérale renouvelée. Les « néolibéraux » mettent en évidence les effets pervers de l’action de l’État contrecarrée par le jeu des acteurs privés (développement de l’économie souterraine, effets d’éviction, etc.). D’autres vont au-delà en s’attaquant au fondement même de l’intervention de l’État : loin de répondre à des impératifs d’intérêt général, l’action de l’État répondrait davantage aux intérêts de la « classe bureaucratique » ou de la « classe politique ». L’interprétation du phénomène historique (Cf. Première partie du cours) devient ainsi un enjeu central d’affrontements politiques.
Ces théories critiques vont être à l’honneur dans tous les pays occidentaux à partir du début des années 1980. Les politiques néo-libérales reçoivent certes des inflexions différentes selon les contextes nationaux, mais elles vont toutes dans le même sens. Aux États-Unis, en Grande-Bretagne, en Australie, en Nouvelle-Zélande ou au Canada, et même en France, on a vu se développer des attaques vigoureuses contre le niveau de pression fiscale et sociale de l’État, contre le rôle trop important de l’État dans la vie économique et contre le caractère improductif et contre-productif des mesures sociales. Comme l’observe Bruno Jobert 2, le degré de réceptivité au néo-libéralisme ne semble pas dépendre étroitement de l’orientation idéologique des partis au pouvoir. À bien des égard il a été plus fort en France durant une décennie de présidence socialiste que dans l’Allemagne fédérale où une coalition portée au pouvoir sur le thème du grand tournant a maintenu voire renforcé les mécanismes de la concertation sociale et les prestations de l’État-providence. Si des convergences devaient se dessiner, elles opposeraient ainsi plutôt la France et la Grande-Bretagne à l’Allemagne et à l’Italie où la pénétration des recettes néo-libérales ne devient significative qu’à l’orée des années 1990.
La notion de crise de l’État-providence devient alors l’expression consacrée d’une époque (deux/trois dernières décennies). Elle fait essentiellement référence à deux éléments :
- La crise financière des systèmes de sécurité sociale.
- La crise de légitimité des États-providence.
Le rapport des experts de l’OCDE de 1981 : la crise de l’État-providence, observe François-Xavier Merrien, est l’une des publications les plus marquantes du début des années 1980. Les critiques de l’État-providence parcourent ensuite et progressivement tout le spectre des positions idéologiques. Pour une majorité d’économiste, les États-providence sont et doivent être condamnés. Non seulement ils produisent des effets pervers, mais ils minent le sens des responsabilités, le sens de la famille et le sens de l’effort.
Jérôme VALLUY‚ « Segment - Le tournant néolibéral »‚ in Transformations des États démocratiques industrialisés - TEDI - Version au 24 mars 2023‚ identifiant de la publication au format Web : 143