La troisième voie est un objet politique encore très peu étudié du fait notamment de son caractère récent mais aussi de son caractère polémique : objet de répulsion pour les uns, au nom de la préservation des valeurs traditionnelles de la gauche, ou gage de modernité pour les autres, au nom du dépassement du clivage gauche-droite, elle est soumise à une vigoureuse querelle des intentions depuis son apparition sur la scène politique européenne au milieu des années 1990. Son identification avec la politique menée par le gouvernement de Tony Blair depuis 1997 n’est pas pour rien dans la cristallisation du débat : théorisée par des intellectuels proches de ce leader politique (notamment le sociologue Anthony Giddens mais aussi des think tank comme le policy-network), dans un pays culturellement marqué par plus d’une décennie de thatchérisme, la troisième voie est souvent stigmatisée, notamment en France (Cf. ATTAC, le courant « Nouveau Monde » au parti socialiste, les Verts, les extrêmes gauches...), comme néo-thatchérienne ou sociale-libérale. Elle est parfois aussi valorisée 1.
Faute d’études de référence sur la « troisième voie », je me contenterai de rendre compte des contributions d’Anthony Giddens dans l’ouvrage précité :
- L’ouvrage relatif au renouveau de la social-démocratie porte presque intégralement sur la question de l’État-providence en associant assez étroitement les deux concepts. Le ton est donné dès les deux premières faces de la préface de Giddens :
Je propose ce court ouvrage comme contribution au débat qui a lieu aujourd’hui dans de nombreux pays à propos de l’avenir de la social-démocratie. Les raisons qui expliquent que ce débat a lieu sont assez évidentes : la fin du consensus sur l’État-providence qui a dominé les pays industriels jusqu’à la fin des années 1970, le discrédit définitif du marxisme? et les changements économiques, sociaux et technologiques qui y ont conduit.
- Le positionnement politique de la « troisième voie » procède d’un double mouvement d’acceptation, pour une large part, du diagnostic néolibéral et d’une volonté de démarcation en ce qui concerne les conséquences qu’il y a lieu d’en tirer en matière de politiques publiques :
Reconnaissant les difficultés qui ont traversé l’histoire de l’État-providence, la politique de la troisième voie se devrait d’accepter quelques-unes des critiques que la droite formule à son encontre. Convenons ainsi que l’État-providence est essentiellement non démocratique, dans la mesure où il repose sur une distribution unilatérale des bénéfices du haut vers le bas ; que, si ces motivations premières sont la protection et la prise en charge, il n’accorde pas assez de place à la liberté individuelle ; et que certains de ses organismes se révèlent bureaucratiques, aliénant et inefficaces, les prestations sociales qu’il fournit ayant parfois des effets pervers qui nuisent à la réalisation même des objectifs qu’elles sont censées servir. Il reste que la politique de la troisième voie ne voit pas dans ces problèmes une preuve venant confirmer la nécessiter de démanteler l’État-providence, mais en tire bien plutôt des raisons justifiant se restructuration.
Jérôme VALLUY‚ « Segment - La « troisième voie » : adaptation sociale-démocrate »‚ in Transformations des États démocratiques industrialisés - TEDI - Version au 24 mars 2023‚ identifiant de la publication au format Web : 144