D’un côté, l’activité classique de gouvernement consiste à diriger la vie en société en édictant des commandements au moyen de règles générales assorties de contrôles et de sanctions pour atteindre les objectifs politiques concrets définis par les gouvernants. La règle générale, expression d’une autorité souveraine, s’impose à tous et régit les comportements attendus des gouvernés dans chaque situation prévue par elle. Et sa valeur dépend essentiellement de la légitimité statutaire de ceux qui la produisent (élus et fonctionnaires). Les activités gouvernementales les plus fréquentes sont unilatérales et ne nécessitent généralement pas de négociation entre les gouvernants et les gouvernés dont la relation normale est de nature hiérarchique. Les mentalités qui sous-tendent ce mode de gouvernement valorisent le respect du droit, du formalisme juridique et des procédures de décisions politiques, administratives et judiciaires. Le système d’organisation qui en découle est bureaucratique : impersonnel, éventuellement centralisé et stratifié, ne laissant place que marginalement aux arrangements parfois nécessaires. Rigide, il s’adapte difficilement aux évolutions de la société mais traduit l’attachement à certains principes généraux, notamment l’égalité des droits ou l’égalité face au droit. C’est essentiellement par des activités tendant à produire des règles générales, à les préciser aux différents niveaux de la hiérarchie des normes juridiques et à les faire respecter que sont poursuivis des objectifs économiques et sociaux de transformation de la société (logique de l’État-providence).
De l’autre côté, la démarche partenariale consiste à négocier, déléguer et coordonner, plutôt qu’à commander. Face à la diversité des situations particulières qui font la complexité d’une société moderne, les règles générales paraissent inadaptées et ne peuvent servir, au mieux, qu’à créer des espaces de négociation. Au sein de ces espaces, la norme de référence devient la convention. Elle explicite les termes d’un échange ou d’un compromis entre des partenaires. Au lieu ou à côté des institutions centrales prétendant régir tous les aspects de la société du haut de leur légitimité politique apparaissent des instances d’un genre nouveau, moins ambitieuses, plus réalistes. Elles ne régissent qu’un seul ou quelques aspects de la vie en société en réunissant les personnes intéressées, compétentes, quels que soient leurs statuts. Le partenariat implique des valeurs spécifiques : la volonté de négocier nécessite de faire des concessions et s’accorde mal avec certains idéalismes politiques. L’esprit procédurier du formalisme juridique ou du fonctionnement bureaucratique est inadapté : les négociateurs préfèrent au conflit le dialogue qui nécessite une certaine confiance réciproque et se considèrent sur un pied de relative égalité (en principe, sinon en fait). La relation hiérarchique, fondée sur l’autorité, entre gouvernants et gouvernés s’estompe derrière une relation d’ajustements réciproques nécessaires aux partenaires pour multiplier et conduire les négociations de conventions ad hoc (ponctuelles, locales, sectorielles...) destinées à réguler la vie en société. (logique de l’État-partenarial, « propulsif », « stratège », « modeste », « réflexif », etc.)
Jérôme VALLUY‚ « Segment - Les deux gouvernances : la vieille et la moderne »‚ in Transformations des États démocratiques industrialisés - TEDI - Version au 9 mars 2023‚ identifiant de la publication au format Web : 150