- Partie - Expansion des objectifs et moyens de l’État
- Chapitre - Crise ou mutation des États-providence
Section - Critiques du diagnostic de crise de l’État-providence ?
Le diagnostic de « crise » de l’État-providence est aujourd’hui largement diffusé et largement dominant dans les modes de pensée des élites économiques, administratives et politiques. C’est aussi devenu un thème extrêmement traité par les sciences sociales.
Nous avons vu, en introduction du chapitre précédent, que tout le monde s’accordait pour situer cette « crise » de l’État-providence dans la période des trois dernières décennies, c’est-à-dire celle de la crise économique. De ce fait, le problème de la relation entre crise économique et crise de l’État-providence passe au premier plan des enjeux d’interprétation : peut-on interpréter cette crise économique comme symptomatique d’une crise de l’État-providence ? (Cf. Sous-section - La crise économique et crise de l’État-providence)
Au-delà de cette première interrogation fondamentale, une autre question se pose sur la ou plutôt les significations de la notion de crise de l’État-providence : cette notion fait-elle l’objet d’une définition consensuelle ? La réponse est clairement négative : tout le monde ne parle pas de la même chose en utilisant cette expression et il faut alors s’attacher à évaluer la pertinence de chaque interprétation (Cf. Sous-section - Hétérogénéité et discussion des diagnostics de crise de l’État-providence).
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Sous-section - La crise économique et crise de l’État-providence
Si l’on retient une définition large de l’État-providence et que l’on fait remonter ainsi sa genèse au début du XIXe siècle, si l’on considère de surcroît que l’industrialisation à la fin de ce XIXe siècle est très largement avancée, notamment du point de vue de la reconfiguration de l’économie et de la société (agriculture/industriel), on peut constater que les États-providence ont déjà traversé deux grandes crises économiques majeures comparables par leur ampleur à celle que nous connaissons aujourd’hui : la grande dépression de la fin du XIXe siècle, entre 1873 et 1895 (Cf. Segment - La dépression de la fin du XIXe siècle (1873-1895)), et la crise économique des années 1930 (Cf. Segment - La crise de 1929).
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Sous-section - Hétérogénéité et discussion des diagnostics de crise de l’État-providence
La critique du diagnostic de crise de l’État-providence peut s’amorcer d’abord par un constat : cette notion de crise ne signifie pas la même chose pour tout le monde :
- Certains parlent de « crise » en pensant, sur la base d’une définition restreinte de l’État-providence (État-providence = Sécurité sociale), aux difficultés financières des systèmes de sécurité sociale notamment dans les pays (corporatistes-conservateurs) où ce budget public a été historiquement dissocié du budget général de l’État.
- D’autres parlent de « crise » pour signifier que le modèle de régulation politique caractéristique de l’État-providence (droits généraux, phénomène bureaucratique, régulation keynésienne...) est devenu inefficace dans nos sociétés complexes et doit être abandonné au profit d’un autre.
- D’autres encore parlent de « crise » de l’État-providence pour désigner les attaques idéologiques et les politiques de démantèlement ou restrictions mises en œuvre depuis vingt ans sous l’influence des idées néolibérales ou néo-sociales-démocrates.
- D’autres enfin parlent de crise de l’État-providence pour désigner l’insuffisant développement de l’État-providence et notamment les lacunes de la couverture sociale (l’universalisation inachevée de la protection sociale) et/ou d’intégration sociale (le phénomène de l’exclusion), notamment en ce qui concerne les plus pauvres, les femmes et les immigrés.
Constater cette disparité des significations revient déjà à critiquer, d’un point de vue sociologique, la pertinence de la notion même de crise de l’État-providence. Les quatre positions que je viens d’évoquer peuvent donner le sentiment (erroné) d’un large consensus sur la réalité de cette crise, alors même que ces positions correspondent à des diagnostics et à des prescriptions totalement divergents. L’autre intérêt de ce constat est d’organiser les discussions relatives à ces différentes acceptations de l’idée de crise de l’État-providence. Je vais donc aborder trois questions :
- La crise financière de la sécurité sociale révèle-t-elle celle de l’État-providence ?
- Les valeurs, demandes sociales et théories économiques caractéristiques de la régulation politique de l’État-providence s’effondrent-elles ?
- Les États-providence parviennent-ils à lutter contre les formes de discriminations et d’insécurités sociales ?